Textes

Démarche artistique, Sorane Rotellini,
cosmogonie d'un monde en mouvement et en germination.

C’est par une pratique artistique cosmogonique, qu’émerge un monde en germination et en mouvement. A partir d’observations, de recherches et de sensations, s’élabore un questionnement autour de la complexité et la richesse du monde vivant.
A travers ma production (dessins, peintures, installations, vidéos, performances) je donne à voir les intériorités et les invisibilités des phénomènes afin de mettre en tension les forces en action inhérentes à la condition de vie et de son milieu : attirance/répulsion, vie/mort, douceur/violence,force/fragilité, apparence/intimité, masculin/féminin, naturel/artificiel, brisure/réparation, immanence/renouvellement, corps/esprit.

Les médiums physiquement statiques (dessin, peinture, sculpture) concentrent en puissance, comme un potentiel, cette force vitale dans leur vie plastique et leurs figures de biologie imaginaire. S’élabore ainsi un travail en série qui participe à cette recherche sur les liens, les flux, les fluides, les transformations, les circulations entre les règnes animal, végétal, humain, minéral et astral. Par la vidéo/performance se déplace le lien vivant vers l’interaction entre humains. La structure du monde, matérielle et immatérielle répond à un énorme champ d’évènements qui s’interpénètrent au travers d’une multitude d’interactions, à intensité variable et en mouvement perpétuel.

Une attention toute particulière est portée sur les choix des matériaux qu’ils soient principalement, récupérés, cueillis ou recyclés (fils, laine, cire, terre, plumes, graines…). J’interviens a minima, répétant certains gestes minutieux, parfois jusqu’à l’usure (grattage, perforation, accumulation de motifs, broderie) mettant en avant un long processus qui invite à la méditation.

Mon travail cherche à travers différents médiums la complexité du vivant pour toucher l’Homme « poïesis » qui est en chacun de nous, animé de ses émotions, de son genre, de ses apparences, de sa sexualité et de sa relation éthique aux êtres et à la nature.

« Le vivant, ses échanges d’énergie, mélanges, fécondations, disséminations, interactions intérieur-extérieur, individu-milieu, est le fil directeur de la plasticienne Sorane Rotellini, à l’œuvre patiemment tissée comme par le temps long de la nature, entrelacs fermés par une forme, mais ouverts à la reprise et la création de formes nouvelles. Puissance de formation, transformation et création, un élan vital s’y ressent profondément… ».

Michaël Hayat, philosophe du vivant et de l’art, ex-chercheur en esthétique.


Présentation de l’exposition
« Noyau caudé. Toisons » de Sorane Rotellini à la Maison du Pastoralisme à Azet (juin à septembre 2017).
Bernard Soubiron, Président de l’Association Le Transfo C2L’Art.

Unité́-Diversité́

Les différentes créations présentées à la Maison du Pastoralisme forment un tout et sont rassemblées à dessein par l’artiste : il faut y voir le développement dans le temps d’une démarche, d’un mouvement unique.

Or les techniques utilisées, les supports, ce qui nous est donné à voir et à ressentir, tout pourrait nous sembler de prime abord fort hétérogène : courts métrages video accompagnés d’une création musicale originale, installations, sculptures, dessins ; essayons de trouver le lien, les liens permettant de mieux appréhender la démarche de Sorane Rotellini et peut-être une généalogie possible de ce projet.

Les mots qui viennent à l’esprit spontanément seraient des couples antithétiques : Parcours, transformations/arrêt sur image ;
Observation aigüe, quasi clinique /imaginaire, rêverie.

L’artiste semble vouloir nous déplacer nous-mêmes hors de nos représentations, de nos repères : comment gérer les proportions, les échelles, en passant d’une œuvre à une autre ? Une fois quitté le parcours des moutons partant en transhumance estivale, fort rassurant, nous sautons dans des univers où nous peinons à nous situer : sommes-nous confrontés à l’infiniment grand, à une ou plusieurs planètes (dans le grand dessin) ? Entrons-nous dans l’infiniment petit en voyant tout ce que notre vision commune laisse échapper dans un brin de laine ? Aussi est-ce bien nous, spectateurs, qui transhumons de nos représentations sommaires du monde à une approche nouvelle étonnante de l’existant, du vivant, et peut-être bien aussi de nous-même…

Unité-Dualité-Interaction

Déjà dans la double vidéo passée en parallèle, le choix d’un double point de vue : celui du bélier chef du troupeau, des animaux donc, et celui du berger et des accompagnateurs : le point de vue des hommes. La mise en parallèle ou en dialogue de ces deux points de vue, tend à nous décentrer, ouvre une brèche libératrice, plurielle, dans la « lecture « du monde, dans la façon de le vivre également. Sorane Rotellini explore cet entre-deux et nous fait plonger ou voler dans d’autres dimensions. Ce projet interroge les liens et la spécificité de notre perception du monde, en tentant de la confronter à l’altérité ou à la similitude de la perception du monde humaine/animale, interroge aussi la façon dont les perceptions sont répercutées, décodées, transformées par les cerveaux (animal,humain). Ce faisant c’est notre cerveau qu’elle sollicite, tout autant que nos sensations ou notre imaginaire, par les créations qu’elle nous propose. La notion de binarité présente dans les couples (homme/animal et perception/intellection) se retrouve en écho dans la double couleur de la laine. Sorane Rotellini aurait pu choisir de mélanger les toisons des brebis blanches et celles des brunes. Au contraire, elle les distingue bien et ce principe reste structurant dans les créations : les deux toisons installées chacune d’une couleur avec au sein de chacune d’elles un élément symétrique de l’autre couleur comme dans le symbole du Yin et du Yang : un peu de Yin dans le Yang et de Yang dans le Yin… symbole du principe dynamique à l’œuvre dans toute la création. Les deux sculptures -« spoutniks »- obéissent eux aussi, à cette dichotomie noir/blanc. Mais dans tous les cas les deux éléments contrastés sont toujours placés côte à côte, comme indissociables. On pourrait y voir une image du cerveau lui-même constitué de deux lobes indissociables, symétriques,mais ayant chacun des fonctions distinctes. De même, dans les 6 petits formats carrés, il semble que ces derniers sont appariés : aux trois formats carrés inférieurs clairs reliés entre eux par une parenté graphique, correspondent en vis-à- vis vertical, trois formats identiques-très différents des trois inférieurs- dans les formes représentées, mais très reliés entre eux par leur graphie et leur atmosphère. Ainsi une série plutôt en clair-obscur avec en dessous, une série symétrique plutôt en fond très clair ; un peu comme les deux toisons, un peu comme les deux sculptures. Les dessins inférieurs, clairs et précis évoquent les dessins d’un naturaliste : étude au plus près, à l’encre, pour ne rien perdre des détails et où les couleurs les plus réalistes possibles, rendent compte des matières, de l’aspect d’une manière si scrupuleuse, si fidèle, que la réalité commune, la vision distraite stéréotypée, en est remise en question. Quoi ? Est-ce bien un brin de laine vu sous différents angles ? Les formes paraissent étonnantes ; il s’en dégage parfois une impression d’incongruité ou de fantaisie apparemment éloignée de la « réalité » à laquelle nous nous rattachons d’habitude.

Mais si cet « hyper réalisme » des dessins du bas nous frappe par sa singularité, que penser de la série symétrique supérieure qui, au-dessus, paraît apporter une alternative ou bien un prolongement ? A bien observer la paire de dessins de l’extrême droite, on voit nettement, par le motif du filament déployé présent dans les deux dessins superposés, qu’il existe une similarité, un point de départ commun. Mais Sorane Rotellini nous fait entrer dans une autre dimension ne serait- ce que par l’atmosphère lumineuse et le choix des teintes dominantes. A contempler pendant un certain temps l’un de ces dessins supérieurs baignant dans un étrange clair-obscur, on se croirait plutôt en présence d’étranges corps cosmiques, planètes, cernés par la lumière frangeante d’une source lumineuse cachée, en éclipse… ou alors dans un renversement paradoxal, s’imagine-t-on embarqués dans un voyage intérieur. Comme dans le film de Joe Dante, Innerspace (traduction française L’Aventure intérieure (1987), nous voici rapetissés et en voyage dans un corps nous paraissant gigantesque, mis en présence de cellules, de noyaux caudés peut-être (Rappelons que Sorane Rotellini a intitulé́ initialement son projet présenté ici Le Noyau caudé terme anatomique désignant un organe du cerveau, pourvu d’un appendice évoquant une queue (latin « cauda »). Quel rapport avec une transhumance estivale ? Eh bien étonnamment, la représentation en volume 3D des noyaux caudés de notre cerveau (un par hémisphère) ressemble à : …une paire de cornes de bélier ! Mais après coup on peut se dire qu’il s’ agit de très gros plans de fibres laineuse vues au microscope, avec cette lumière d’en dessous donnée par le miroir ou la lampe du micoscope… Ambivalence ?

Mais nous approchons du même coup une caractéristique propre à la vision du monde de Sorane Rotellini dans ce projet : entre l’intérieur et l’extérieur, poussés même aux limites de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, il existe des liens, une relation, et même pourrait-on dire une sorte de respiration qui nous fait passer, pour un même phénomène, du dedans au dehors, du très proche au plus lointain, du familier à l’étrangeté. Aussi éveille-t-elle désormais en nous une sorte de sensibilité aux échos, et cela en passant d’une œuvre à l’autre. C’est sans doute le dessein, le projet de l’artiste de nous faire ainsi passer par ses créations à travers plusieurs dimensions, plusieurs réalités ; mieux à nous les faire vivre simultanément comme possibles, sans exclusive.,

Des œuvres intrigantes, mais agissantes

Dans l’installation des deux toisons laineuses se cotoyant, chacune reprend l’appariement blanc (ou beige) avec le noir. Certes elles sont constituées de laines des deux couleurs présentes dans le troupeau, mais on aurait pu imaginer une toison mélangeant les deux teintes ; tel n’est pas le cas. Ce principe se retrouve validé dans les deux sculptures avec leur noyau sphérique noir ou blanc et leurs « antennes « branchues ». Comme pour les deux toisons installées chaque objet est monochrome soit noir soit blanc, avec ici, des appendices assortis de même couleur. Dans ces deux œuvres on remarque que chaque élément est constitué́ d’un élément principal rond ou sphérique non régulier avec des variations, des courbes propres : nous sommes dans le vivant, l’organique d’où̀ émergent ou vers quoi convergent des excroissances fines, irrégulières comme des racines ou bien des branches. Ne pouvons-nous pas associer à ces éléments une homologie avec des cellules ? La création de Sorane Rotellini, par sa constitution (morphologie), nous entraîne dans une rêverie, mais aussi une réflexion sur le vivant, sur les différentes connexions intervenant à tous les niveaux entres les composantes de l’être ; qu’il s’agisse de sa constitution interne, endogène, ou qu’il s’agisse de ses liens avec le milieu extérieur dans lequel il est immergé. Ainsi le mouton quittant son séjour d’en-bas, partant pour le monde des estives, perçoit intensément le changement de milieu, il réagit avec l’univers qui s’ouvre devant lui, il est tout entier en interaction heureuse avec les senteurs, l’herbe fraîche. Peut-être son atavisme, sa mémoire des années précédentes le mettent en interaction avec ces signes du changement de cadre et de vie. Mais le spectateur visitant l’exposition de Sorane Rotellini, lui aussi part de représentations communes, courantes, pour découvrir par un dialogue avec les œuvres présentées, de nouvelles dimensions, de nouvelles perspectives questionnant son être au monde son rapport à lui-même et au monde extérieur. L’artiste elle aussi a sans doute fait elle-même cette expérience, ce questionnement en réalisant les pièces de cet ensemble. Quel est l’élément fondamental à l’origine de ce parcours ? La laine…

La laine : redécouverte d’une matière paradoxale : du brut à l’élaboré.

Présence de la laine : matériau terrien, brut, et matière transformée, aérienne

L’artiste est toute entière en éveil face à ce matériau, quelle redécouvre dans ce projet. Elle refait le parcours intégralement et personnellement : elle accompagne les brebis en estive, elle récupère leur laine, la trie, la lave, la fait sécher, la carde, la feutre…

Tantôt dans la série des trois petits formats inférieurs, on perçoit l’aspect très terrien de la fibre laineuse : couleurs de terre, connotations chtoniennes de cette matière à l’aspect de glaise, ou bien impression que parfois on voit des formes originelles d’une matière associée à des images de l’ origine : sorte de tresse de terre, images peut-être de graines, de semences en attente de devenir, systèmes d’accroches, en formes de griffes, suggérant une certaine agressivité, une sorte de violence originelle. On peut voir dans ces trois dessins d’observation minutieuse une sorte de processus déclencheur à l’œuvre, de l’œuvre, une « rêverie de la volonté » dirait Gaston Bachelard : où la matière est présentée comme en puissance, suscitant une volonté d’agir, de transformer, de susciter d’autres formes, bref, de créer.

De même, dans cet ordre d’idées, la série homologue supérieure ne serait-elle pas à lire comme des formes en gestations, des atomes de créations en devenir dans l’univers intérieur, l’intimité de la volonté créatrice ? Sorane Rotellini va transformer cette matière brute, rêche, imprégnée de suint, de nœuds, de graines, de brindilles accrochées dans l’épaisseur de la toison. Elle redécouvre en les mettant en œuvre, les procédés traditionnels du tri, nettoyage, lavage, séchage des toisons mais dans un but cette fois unique, créatif, a priori pas utilitaire. Le parcours naturel, traditionnel de la montée en estives, puis plus tard de la tonte et du traitement de la laine, est complètement redécouvert par l’artiste qui, dans cette expérience nouvelle pour elle, découvre ensuite, produit elle-même une matière nouvelle, la laine travaillée: source de sensations, de rêveries créatrices, d’œuvres.

On trouve aussi dans les créations présentées les attributs de la laine transformée : légèreté, souplesse, intimité, caractère aérien, métamorphose… Nous y viendrons en nous attardant sur le grand dessin.

Est-ce pour cette raison que la recherche, la valorisation des sensations, des sollicitations de la matière étrange, à la fois terrienne, et aérienne qu’est la laine fait naitre ce motif récurrent des connexions matérialisées, informant le noyau central ? [voir dans les diverses productions, les manifestations de ce module : noyau ou masse d’où sortent des filaments, des appendices en forme de linéaments : de la masse (ie du donné initial,brut) se développent toutes sortes de prolongements, vivants donc irréguliers, imprévus, fins, voire ténus, un peu comme les diverses rêveries, les diverses productions propres à l’artiste émergent de cette matière , la laine, redecouverte, singulièrement, par Sorane Rotellini.

Mais qu’est-ce que créer sinon « se brancher » par les moyens les plus divers et les plus fins possibles sur le monde, le milieu environnant, pour l’appréhender, en mesurer et ressentir les particularités, puis en faire autre chose d’unique par le geste artistique, en suivant des impulsions, des rêves singuliers ?

Le Projet « Toisons » : l’art de nous faire traverser les apparences

Ainsi l’expérience complètement personnelle de cette nouvelle matière, si spécifique, la laine, suscite une sorte d’observation aigüe, hyperréaliste de fragments du réel, mais aussi des états psychiques, des rêves profonds, générateurs d’images et d’objets particuliers, surtout pas gratuits : ils répondent à une sorte de nécessité, à un cheminement intérieur de l’artiste. Au cheminement de la transhumance animale succède un autre parcours, total, celui du processus créatif initié par la laine. Et ce faisant l’artiste relie à sa façon le paysage, les bêtes, le monde extérieur et son propre monde intérieur, questionne son propre rapport aux êtres, à elle-même et aux autres. Ce faisant ses créations déclenchent en nous un questionnement homologue.

Par exemple attardons-nous devant le grand dessin lui aussi constitué de deux formes. Ici, comme dans les six petits formats, il s’agit d’un dessin, mais de grandes proportions par rapport aux autres. Et ici on perd l’appui référentiel à la matière réelle de la laine. Il s’agit de deux formes de grandes proportions mais qui ne semblent pas, bien que proches, deux représentations du même objet : au début on pourrait imaginer que d’une forme à l’autre on passe d’une représentation en plan à une représentation en volume d’une entité unique…Mais est-ce le cas ? Certes, les deux formes sont traversées de part en part d’une droite, d’une césure commune aux deux formes ; et la répartition des surfaces, presque identique dans les proportions, pourrait laisser à penser que c’est une forme unique présentée sous deux faces traversée par la même coupure.

Mais pourquoi ce dessin a-t-il une telle force, un tel pouvoir de fascination ? C’est peut-être cette interrogation, ce doute, qui nous fait osciller de la contemplation de la forme supérieure, à celle du dessous :

Dans la forme supérieure on ne peut que rêver à la douceur, la souplesse d’une matière apparemment agrégée, comme une toison ; les effets suggèrent une sorte d’épaisseur, confortable. Pourtant les formes, le contour souple et irrégulier, éloignent la forme de l’image d’un tapis aussi bien que celle d’une peau de mouton : rien d’orthogonal, de mécanique ; c’est la souplesse et le naturel du vivant, mais libérés du réalisme. C’est peut-être là un rêve de laine … rien d’agressif, au contraire, une sorte de forme apaisante, rassurante. Un monde souple et accueillant, chaleureux malgré l’absence de couleurs…

Dans la forme inférieure, on passe à un volume, lui aussi vivant dans son absence de contours réguliers. Ici la douceur est aussi sensible par le dégradé subtil et les effets de volume. Mais on se trouve devant une énigme si l’on veut absolument trouver un lien direct avec le point de départ du projet. En a-t-on besoin après tout ? N’oublions pas que c’est le geste de l’artiste qui prime, même si on peut avancer quelques hypothèses. Ce qui compte surtout, c’est la force de cette co-présence des deux formes associées qui nous laissent en arrêt, en suspens, sans pour autant ressentir le moindre inconfort, plutôt le contraire : un état de contemplation, de douce rêverie. Rien d’aigu, d’acéré, tout est courbe, moëlleux, rien de rationnellement symétrique : on est dans des formes, un volume, marqués par le vivant, le naturel. Mais en faisant converger ces impressions vient émerger,comme de façon subliminale, une image de bien-être : celle d’un nid : le dessin supérieur laisse apparaître ces fines touches qui rendent lisse et douce une surface primitivement hérissée et composite : la matière est modelée, comme feutrée, accueillante. Quant à l’image inférieure elle pourrait très bien nous faire imaginer le volume d’un nid, son extériorité : nid-coquille en cours de construction ? Le dessin livrerait alors l’intérieur et l’extérieur d’un espace-refuge…Mais alors cette coupure traversante serait-elle à comprendre comme une sorte de menace renforçant la précarité de ce nid en train de se constituer ? ou alors annoncerait-elle la sortie hors du nid-coquille ? La scission représentée ne laisse rien voir du volume intérieur ; elle est traversante. Peur-être une image menaçante ou une fracture préfigurant une sortie, une naissance ?

Le dessin garde donc son mystère, son ambivalence. Mais on pourrait considérer que ce grand dessin est la dernière œuvre, chronologiquement parlant, du projet.

Si tel était le cas, Sorane Rotellini, en refaisant le parcours commun traditionnel de la transhumance, et du travail de la laine, a tissé son propre univers, marié ses rêves au monde, réinterrogé son rapport à la nature, les relations entre l’humanité et le monde animal, perçu les similitudes traversant des réalités apparemment distinctes, apparemment hétérogènes, dans plusieurs dimensions ou espaces : interne, externe, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, du biologique au cosmique. Citons Gaston Bachelard : » Dans sa fraîcheur, dans son activité propre, l’imagination, avec du familier fait de l’étrange. Avec un détail poétique [au sens de créatif] l’imagination nous place devant un monde neuf. Une simple image, si elle est nouvelle, ouvre un monde » in La Poétique de l’espace chap.V .

Ainsi l’artiste serait ici celle qui donne forme, qui génère une vie autre, sous la surface des apparences convenues, mais en passant par le geste artistique, en intervenant sur le matériau de la laine, devenu matière nouvelle, et matière à la mise en formes, en volumes, en images, de ce qu’elle pouvait receler au plus profond de son être.

Musée St Raymond (Toulouse)
« Graines. Semences d’origine biologique. Certifiées sans OGM » 2014.

Qu’il s’agisse de portraits impériaux ou privés, le peuple romain s’est particulièrement illustré par son goût pour la représentation naturaliste de la figure humaine. Saisi dans la pierre, le sujet s’inscrivait de la sorte dans la postérité, alors que la stylisation de ses traits permettait d’en idéaliser certains caractères-sérénité, beauté ou encore assurance-, de brosser une image à la fois flatteuse et honorable qui pourrait traverser les âges.

Dans le cas particulier des portraits impériaux, il est ainsi surprenant de constater à quel point la maîtrise de la personnification du pouvoir politique, confondant l’individu et sa fonction, à permis d’affirmer son caractère presque sacré. Majestueux et pleins de dignité dans leur mise en scène, les portraits de la Galerie des Empereurs n’ont en effet rien à envier à la politique-spectacle du monde contemporain.

Comme une réponse à plusieurs siècles de personnification du pouvoir, Sorane Rotellini a choisi de produire cinq piédestaux s’intéressant à l’identité humaine en tant que corps biologique. Semences biologiques. Certifiées sans OGM présente ainsi des entités hybrides-mi-humaines, mi- animales, mi- végétales- qui se font le contre point d’une culture selon laquelle l’Homme ne serait pas un animal comme les autres. Soucieuse de l’urgence écologique actuelle et du divorce de nos sociétés avec la Nature, Sorane Rotellini emploie des techniques répétitives et minutieuses-crochet, couture, cueillette, etc. – comme acte de résistance, ramenant pour l’occasion l’Humain à ses fonctions biologiques premières.

Anthoni DOMINGUEZ

Commissaire de l’exposition, Jardins Synthétiques, Musée st Raymond Toulouse.